Poèmes d’Anciens
6e Printemps des Poètes des Afriques et d' Ailleurs
Jacques Rabémananjara,
Poète malgache
Premier parrain du festival, Grand Prix de l’Académie française
Lamba
A la femme malgache. A Voahangy, Velo, Noro, Bao, Bakoly et Bo
Je te reconnais entre cent, entre deux, Je te reconnais entre mille à ton clin de cil prémonitoire.Le jour de la Révélation surgi soudain des confins barbares de mille siècles : je t’ai surprise entre la griserie de l’aube et le dernier hoquet de leur monde à mensonge. Nue et divinement vêtue de la magie des nuits de pleine lune au piton des Tropiques.
Source longtemps et chair de rêves éclatants comme des chevelures de comètes ! Je te retrouve à l’extrême jonction des nouveautés reconquises aujourd’hui sur les sept profondeurs sept foi impénétrables des Ancêtres.
Dans l’enclos hermétique le frais clitoris de la corolle ombon dur et velours de caresses que prodiguent avant l’extase les doigts mythiques de séraphin des mains d’ouragan cernant avec l’art du stratège le dernier refuge du refus la forteresse unicolore où claque au vent du soir le pavillon de l’orgueil.
Salut, Tige de mon vertige ! Toi, fermeté d’ébène ambré sur patine d’étoile, racine, fibre de frissons, mon arbre dru, ma plante rare ma plante d’essence à odeur du miel cru, O ma sombre rose noctiflore ouverte éperdûment au souffle épique du « talio » !
Voici le premier chant authentique de l’Homme, le chant jailli droit du cœur comme de l’infini la lancée des planètes.
Ecoute, oreille d’aurore et conque de délice. Ecoute monter des tam-tams souterrains l’hymne d’annonciation : Ecoute le prélude saccadé de l’antsiva d’aînesse qui porte au loin l’énoncé de mon allégresse !
Je te reconnais entre cent, entre deux, je te reconnais entre mille à ton clin de cil prémonitoire.
Mais ta beauté n’est pas celle de la femme où l’entendent exégètes et cymbaliers ni la complexité de la perle et du bijou. Ta grâce, O Sœur de sang de mon nombril, pas celle de la déesse chue en pays de légende ; pas de la nymphe d’or dressée au péristyle du temple ; pas non plus de la vierge égarée aux marches de Cythère et de Formapolis.
Vains les propos de la Bible, toute la loquelle de l’Alcoran et l’épopée majeure où la Fable créa parmi les pommes d’or le vert serpent de séduction.
Ton renom ne dépasse point l’once de sable brun qui brille, larme noire, au bord du lac natal, ni le grain de riz rouge oublié sous la natte antique du silo.
[…] Soufflez, moussons ! Grondez, blancs cyclones de haine ! Alizés massacreurs de brunes innocences ! foncez frappez tuez crachez mépris et rage, écume et pus d’étoiles ! Notre défi, incorruptible, est, là, hissé, Hissé haut et claquant d’orgueil : lamba jaculatoire emblème de la nef fétiche de la Race !…
Je te reconnais entre cent, entre deux Je te reconnais entre mille à ton clin de cil prémonitoire ! Quel temps fait-il là-bas en amont de l’Ivoundre où j’ai planté des flamboyants !
Maison de Force de Nosy Lava,
Le 12 septembre 1950.
(Extrait de Lamba,éditions Présence Africain, Paris, 1956)
Photo Jacques Rabémananjara _________________________________________________________________Martial Sinda,
Premier poète de l’Afrique Equatoriale Française
Grand prix de l'AEF en 1956,
Parrain du festival
(Extrait de Premier chant du départ,Seghers, Paris, 1955.)
Photo : Le ministre de la France d’ Outre-mer Gaston Deferre, le lauréat de l’AEF Martial Sinda et la Baronne Marie Surcouf lors d’une foire du livre à Paris en 1956 _________________________________________________________________Raoul-Philippe Danaho,
Poète guyanais
Membre de l’Académie des Sciences d’Outre-mer
Pour Yasmina,
en hommage à la fête de Cayenne
célébrée en ce mois d’octobre 1983
La Jolie cayennaise
En ce jour ultime d’octobre à la mini-foire guyanaise cette liesse combien joyeuse dans Paris ville radieuse métropole de mes amours - ma délectation de toujours - dans Paris par un superbe après-midi et pour la première fois l’ai-je rencontrée pour la première fois la jolie Cayennaise pour la première fois en sa merveilleuse beauté au Palais de la Mutualité vêtu d’une délicieuse robe de madras aux couleurs rutilantes envoûtantes et chatoyantes comme l’arc-en-ciel de ses yeux pour la première fois l’ai-je admirée pour la première fois la jolie Cayennaise et longtemps elle et moi longuement nous parlâmes nous devisâmes pour la première fois de choses et d’autres la jolie Cayennaise et c’est ainsi que sous le ciel de Paris par un jour ravissant d’octobre finissant à la mini-kermesse guyanaise jovialement célébrant la fête de Cayenne c’est ainsi quand peut-être déjà pour la première fois la rêvant mienne suprêmement extasié je l’ai vue et adorée pour la première fois en sa robe éblouissante sa beauté bouleversante pour la première fois la jolie Cayennaise (Poème extrait de Chansons pour l’Inconnue,
Éditions Saint-Germain-des-Prés, Paris, 1986.)