Henri Moucle : un poète noir montmartrois
Par Thierry Sinda
Les poètes Henri Moucle et Thierry Sinda lors du 13e Printemps des Poètes des Afriques et d' Ailleurs,en 2016, au sortir de l'ouverture du festival qui s'est tenue au restaurant malgache Marianina (88, rue Blanche Paris 9e tel : 06 10 01 95 25)
Identité montmartroise
Henri Moucle est incontestablement une curiosité montmartroise, un poète noir amoureux du village parisien de Montmartre où il a grandi dans les années 40 après être né sur les bords de la Seine. Je me mire dans ses yeux vieux pleins d' anecdotes historiques ,et je bois goulûment son accent titi parisien sous sa peau noire en me souvenant, avec plaisir, que jeune, j' avais moi-même écrit jadis dans le poème Vie parisienne: « j' ai planté mon arbre à Paris / Et la Seine parisienne / Coule / Dans mes veines / Sous ma peau noire » (in Voyage en Afrique à la recherche de mon moi enivré, éditions Atlantica-Séguier, Paris-Biarritz 2003). La Seine ne charrie plus seulement nos peines d'amour comme le chantait Apolinaire : « Sous le pont Mirabeau coule la Seine / Et nos amours / Faut-il qu' il m'en souvienne / La joie venait toujours après la peine » (in recueil Alcool, Mercure de France, Paris 1913) ; la Seine d'aujourd'hui charrie le sang des parisiens de toutes les couleurs dans un tableau exceptionnel qui dessine le Paris nouveau[...]
(Extrait de la préface du recueil de Henri Moucle à paraître prochainement aux éditions Delatour France)
POEME EXTRAIT DU RECUEIL DE POEME A PARAÎTRE EN MARS AUX EDITIONS DELATOUR FRANCE DANS LA COLLECTION POETES DES AFRIQUES ET D'AILLEURS DIRIGEE PAR THIERRY SINDA
Créolités montmartroises
Je ne suis point d'ici, et non plus de là-bas
Créole des créoles. Matin, trop de couleur
Et soir accent pointu dont se gaussaient mes frères.
Issu de Nègropole c'est-à-dire de nulle part
Ou plutôt de partout, hybride de cultures,
Comme une graine égarée, que le vent a happée
Dans son jeu de hasard, pour la déposer là
Ignorant les frontières, pépite de cacao
Sur une nappe blanche. J’ai grandi en rêvant
A ce lointain pays que j’avais dû quitter
Bien avant ma naissance. J’ai fredonné la Seine
Et chanté l’Océan, avec deux Joséphine
Aux destins différents. L’une fit battre les cœurs
Régime de bananes, sur jambes de déesse
Adoptant un patchwork d’enfants abandonnés.
L’autre fit battre les corps. Adepte du code noir
Elle a prôné l’esclavage. Pour exploiter ses terres,
Et bien plus ses semblables.
Je faisais d’un frisson une vague géante
Je gravissais Montmartre, ma Montagne Pelée
Et le volcan en moi ne dormait déjà plus.
J’ai appris de l’enfance, ce qu’est la différence.
Le bœuf mode purée, le boudin antillais
Le poulet du dimanche, le divin pain au beurre
Des jours de communion. Le steak et la morue
Friand de poisson frit, j’adorais les ignames
Papayes-mangues-patates-douces, arrivés par colis.
Les premiers émigrés débarquaient de Bretagne
D’Italie, d'Espagne ou du ventre d’Auvergne
Avec leurs habitudes, façonnant leur quartier.
Ma peau une tache sombre dans l’hiver neigeux
On voulait me toucher, quand d’autres étaient au cirque
Viens voir ses cheveux, leurs dents sont des diamants
Les Noirs rient tout le temps. Une femme a glissé
Sur mon visage un doigt, qu’elle avait pris le soin
D’humecter de salive, testant mon maquillage.
Des fenêtres apeurées se ferment à la campagne.
D’autres s’ouvrent incrédules sur l’ombre d’un passage.
Des têtes blondes se pressent, des hublots nous regardent.
L’œil rond soudain s’éveille sur un monde inconnu.
Une maman a dit au petit turbulent,
Si tu ne restes sage, et ne veux te calmer
Le Monsieur t’emmènera, se tournant innocente,
Un sourire complice, vers l’Oncle désabusé.
Nous étions une poignée, nous étions une famille
Paris du dix-huitième, pari de s’en sortir.
Tous cousins, tous frères. Tu ne laisseras pas dormir
Quelqu’un devant ta porte avec le ventre creux.
Il fallait se serrer, pour se chauffer le cœur
Tout autant que le corps, lorsque l’indifférence,
La peur, l’ignorance, hantent le voisinage,
Qu’un ogre venu de l’est, mange toute une jeunesse
Et dévore les âmes. Certains ont pris les armes
Très peu sont revenus. On se sentait Français
Il nous reste les larmes et un manteau d’oubli.
Il fallait à l’école prouver qu’on existait
Et bâtir notre histoire en passant au tamis
Ce que nous enseignait la chère Mère-Patrie
Et qui nous paraissait pour le moins indigeste.
La pomme de terre, c’est sûr, nous vient de Parmentier
‘Cristovo Colombo’, nous a tous engendrés
L’argent se faisait rare, pour lui c’était l’hiver
Les frimas éternels, personne n’en possédait
Il n’y avait pas d’envieux. Après une dure journée
Les hommes se racontaient, derrière le bastingage
Tout au bout d’un comptoir, et la fumée des bars
Se mélangeait aux brumes bleutées qui s’exondent des mers.
Les mâles croisaient leur chope pour retrouver le punch
Le verre du condamné à aller de l’avant.
Un petit coup de punch entretenait l’espérance
D’un retour peu probable vers l’île évaporée.
Ils plongeaient avec fièvre dans les nuits
Exotiques du 33 rue Blomet
Ce haut lieu du Bal Nègre très prisé de Paris
Où Jean Rezard de Wouves se mettait au piano.
Artistes-intellectuels-écrivains-journalistes
Toute une gent huppée venait s’accoquiner
Sur des rythmes endiablés arrivés des tropiques
Jazz-biguine-et-danses d’Afrique
Un passage à Paris passait par le Bal Nègre.
Le 33 rue Blomet, endroit célèbre-mythique
Où le damier noir sur fond blanc, inspirait la musique !
Dédicace le 18 mars à Paris : Affiche_Henri_Moucle__14e_Printemps_des_Poe_tes
3_Henri_Moucle__un_po_te__noir_Montmartrois
Poème Créolités Montmatroises
cr_olit_s_montmartroises_de_Henri_Moucle